Mettez de l’UX dans votre gestion de projet.
Quand j’ai décidé de rechercher un poste un agence en sortant de ma formation, j’étais particulièrement intérêssé par la résolution de problèmes variés sur des projets différents. Mais comme pour tout passage de la théorie à la pratique, il y a la réalité. Et je me suis finalement retrouvé à essayer de résoudre la principale problématique rencontrée par les agences : la gestion de projet.
Après avoir passé plusieurs mois à voir mes recherches et réflexions ignorées, j’ai décidé de prendre le taureau par le cornes (le chef de projet), et de rechercher une solution viable pour satisfaire toutes les parties—client, prestataire, et utilisateurs. J’ai d’ailleurs présenté ce sujet au cours d’un apéro web, dont vous pouvez consulter les slides. Cet article est un résumé de la conférence présentée ce jour là.
Des problèmes, mais pas les bons.
Les agences de communication ont pour rôle d’établir une stratégie et proposer des solutions en accord avec les objectifs clients. Mais ce processus, souvent sous-traité, est lourdement chargé de problématiques liées à la communication entre les différentes parties.
La frustration des équipes est une notion assez courante en agence. Là où des points de vus alternatifs sont une valeur ajoutée, ils ne sont généralement pas pris en compte. Et on se retrouve à faire appel à eux que dans une optique de production (comme à l’usine), et très peu dans un cadre de conseils. Or s’il y a bien un domaine dans lequel j’ai pu observer de réels passionnés par leur travail, c’est bien le Web. D’où la frustration des intervenants à se retrouver limités par les retours client. D’ailleurs, si vous vous intérêssez à la problématique du turnover en agence, je vous conseille de commencer par là …
Ensuite, les retards dans les projets sont au final assez nombreux. On parle généralement de quelques jours/semaines, mais il arrive parfois qu’un projet se retrouve retardé de plusieurs mois. Qu’il sagisse du client qui envisage son projet d’une manière, ou du chef de projet qui veut appliquer sa vision, ou encore du prestataire qui fait appel à son expertise (ou à ses goûts), il y en a toujours un qui contredira les autres. Et cette pratique—que dis-je, ce sport national—ne fait qu’engendrer des retards sur le déroulement du projet.
Enfin, il y a l’éternelle insatisfaction client. En fonction des projets, elle peut être liée à divers choses. Pour commencer il y a l’égo des différents intervenants. Chacun y va de sa vision, de son expérience. Mais encore une fois, c’est un débat sans fin où le gagnant est au final le plus gros poids dans la balance : le client ! On ne fait donc que retarder l’inévitable et on génère une mauvaise expérience de prestation auprès du client. D’autre part, lors d’un brief avec le client, des objectifs sont déterminés, et la mission de l’agence est de concevoir un outil répondant à ces objectifs. Sauf qu’en prenant en compte les différents avis personnels (client et prestataires), on omet totalement l’impact de nos décisions sur la validation des objectifs.
La seule chose dont je suis certain ici, c’est qu’il ne s’agit pas des problèmes auxquels je pensais avoir à faire en travaillant en agence. Oui, il fût un temps où je vivais dans le monde des bisounours. Puis je me suis intérêssé au sujet …
À la recherche d’une solution.
Bien heureusemenent, ces problématiques étant observables depuis plusieurs années, des solutions ont été envisagées et mises en place dans les agences.
Faire l’autruche est la plus courante. Ce n’est pas vraiment une solution, mais c’est ce qui est le plus souvent mis en place. Après tout, si on satisfait les désirs du client, il ne peut pas nous en vouloir. Enfin… Il paraît ! « Donnez lui la main, laissez-y le bras ».
Augmenter drastiquement ses tarifs pour prévoir les nombreux retards des projets réalisés est également l’une des solutions envisagées. La survie de l’agence étant en jeu, cette prévision lui permet de garder la tête hors de l’eau, mais ne résout pas les problématiques d’insatisfaction client, de retards ni de frustration des équipes projet.
Appliquer une nouvelle méthodologie destinée à simplifier la compréhension du projet et éviter l’effet tunnel est une pratique en augmentation. J’ai nommé : les méthodes agiles ! Et l’idée n’est pas si mauvaise. Après tout, la gestion de projet en silo a mainte fois montré ses faiblesses. Mais vouloir briser au bulldozer dix ans d’habitudes de travail reste purement théorique. En pratique, ça prend beaucoup de temps et des suées froides. Je vous conseille l’article 10 actions pour faire progresser l’ergonomie et l’UX en entreprise de Raphaël Yharrassarry pour mieux comprendre le problème. Quoiqu’il en soit, il existe peut-être un juste milieu, non ?
D’ailleurs, si on s’intéresse au détail de ces solutions, on peut se rendre compte qu’elles ne résolvent, non pas des problèmes, mais des faits engendrés par des problématiques. Il ne s’agit donc pas de solutions viables, que ce soit sur le court terme, ou le long terme. Il faut donc rechercher d’autres solutions plus adaptées à la situation actuelle.
Un problème de contexte.
La communication interne d’un projet, c’est comme un débat. Chacun des interlocuteurs dispose d’arguments et c’est à celui qui a le plus de poids dans la balance qui sera vainqueur. Et en l’occurence, pour le projet sur lequel vous travaillez, c’est le client : c’est son projet et son budget. Difficile donc, en tant qu’agence, de faire valoir ses arguments basés sur des connaissances considérées à moindre ampleur.
On se retrouve donc face à deux idéations opposées. Comment faire, pour outrepasser ces différences de contextes dans la conception d’un projet ?
Là où le bât blesse, c’est lorsqu’on rappelle que les objectifs du projet ne sont rien sans les utilisateurs. En effet, s’il n’y a pas d’utilisateurs, il n’y a pas de validation d’objectifs. Or, les utilisateurs disposent eux aussi d’un point de vue qui leur est propre. Et à la différence du client qui ne jure que par son idée, et l’équipe projet—qui est le pire groupement d’utilisateurs (sans offence)—, ce contexte est celui sur lequel devrait être basée la stratégie mise en place. Mais, comment s’y prendre ?
Les processus d’UX design.
Le travail d’UX designer repose sur un ensemble de connaissances, de compétences, mais aussi et surtout de méthodes à appliquer tout au long d’un projet. Ces processus servent justement à l’établissement d’un contexte d’utilisation en vu de concevoir les spécifications et les justifications qu’un projet requiert. Or les nombreux livrables conçus à partir de ces méthodes peuvent également avoir un rôle de diffusion du contexte auprès de toutes les parties du projet.
D’autre part, l’UX design ne se limite pas à la seule satisfaction de l’utilisateur. Certains considèrent que les informations relevées auprès des utilisateurs sont infaillibles et permettent de satisfaire tous les besoins du projet. Or il y a cette règle de sécurité chez les développeurs du « Do not trust user input » qui au final s’applique tout autant dans la validation des objectifs. Un utilisateur satisfait n’est pas forcément un utilisateur qui répondra à vos objectifs.
La conception centrée utilisateur, contrairement à la croyance populaire, n’est pas innée. Elle est étudiée, réfléchie, prototypée, validée. Bref, c’est une démarche scientifique.
Rechercher et comprendre le contexte.
D’ailleurs, dans le milieu scientifique, il est demandé d’être rationnel. Concrètement il s’agit de répondre à une problématique par une solution vérifiée. Chez les journalistes, on parle d’ailleurs d’objectivisme. Et la conception de services n’en est pas exemptée. Cependant, la réalité est un peu différente.
J’appelle ça la théorie du « moi je ». De la même manière que le point Godwin est attribué aux arguments extrêmes dans une conversation qui dure, cette expression est la plus employée dans le débat de la définition des spécifications. Or notre mission n’est pas de juger, ni d’être l’utilisateur. Notre mission, encore une fois, est d’établir les éléments répondants à la fois aux problématiques des utilisateurs, ainsi qu’aux objectifs client.
Il est donc essentiel d’étudier le contexte relatif aux utilisateurs finaux. Les méthodes d’entretiens individuels et de questionnaires sont par exemple un excellent moyen d’obtenir des informations qualitatives liées au projet. On fera également appel à d’autres méthodes tel que le tri par carte pour obtenir des informations spécifiques (ici l’architecture de notre projet).
Agréger et diffuser le contexte.
La première fois que j’ai mis en application cette méthodologie, j’ai comis une erreur. Étant le seul UX designer à bord, et au vu du peu de temps dont je disposais, je n’ai pas pris la peine d’agréger ni de diffuser suffisament mes résultats de recherche. Si j’étais en mesure de comprendre le travail que j’avais déjà fourni jusque là, la justification pour les autres intervenants (et notamment le responsable projet) était en revanche moins claire. Force a donc été de constater que toute mon analyse du contexte n’avait servi à rien.
Et c’est fortement regrettable lorsqu’on sait que la diffusion de cette étude au travers de livrables comme les personas, flowcharts, wireframes et autres document ont un impact important dans la compréhension de ce contexte. Vous pouvez également adjoindre une analyse concurrentielle sous forme de grille de comparaison entre les fonctions présentes chez les concurrents et les besoins utilisateurs. Ce document ne fera que renforcer la compréhension de l’intérêt de votre travail auprès du client.
Mettre en action les éléments qui permettent d’établir les interactions et la validation des objectifs est crucial. Dans l’idéal, ce type d’information doit être constamment visible, que ce soit pour les intervenants, ou lorsque le client vient échanger avec vous. Comprendre, et faire comprendre, c’est la moitié de votre travail (si ce n’est plus).
Concevoir et suivre les guidelines.
Le plus gros problème de communication interne que j’ai pû constater jusqu’à aujourd’hui, c’est le filtrage des informations entre les différentes parties. Heureusement, ce type de processus apporte des spécifications claires et précises acceptées par tous et faisant appel à tous les intervenants. Et si vous avez suffisament communiqué ces informations, il ne reste alors à votre équipe qu’à suivre des guidelines.
Généralement, la réflexion d’un projet sans contexte de travail entraine des omissions dans les spécifications. Or si vous avez effectué concrètement vos recherches (et non imaginé des choses), vos spécifications contiendront l’ensemble des éléments nécessaires à la réalisation du projet. Vos équipes n’auront alors plus à se soucier des problématiques usuelles que sont les réflexions en cours de projet sur des intéractions non déterminées.
Ceci est un sujet à part entière, mais la spécialité de chacun est importante. Le fait même d’éviter les réflexions sur les spécifications au cours du projet permet à chaque spécialité de s’étendre (et d’expérimenter) et ainsi apporter une plus value importante par son savoir.
Prototyper et itérer sur le projet.
Nous le savons que trop bien, la période de conception est la période la plus frustrante des équipes projets. Le client souhaite connaître l’avancement de son projet. Il décide de remettre en cause certaines décisions et il faut alors apporter des modifications importantes sur le projet alors même qu’il n’est même pas arrivé au stade de production (où le produit est fonctionnel).
Quelles solutions avons-nous dans ce cas ? Je vous parlais plus haut de la méthode de l’autruche, mais certains préfèrent le contrat qui stipule l’interdiction de modifier le projet une fois validé. Et ceci n’est pas une excellente expérience pour le client qui pert alors le contrôle de son projet.
Grand bien nous fasse, il existe une seconde phase dans l’optimisation de l’expérience utilisateur : le prototypage fonctionnel. Et c’est l’occasion rêvée pour démontrer à votre client s’il a tord ou raison de remettre en cause votre conception. Vous me direz certainement qu’accepter que le client ait raison, c’est mal. Mais l’intérêt premier d’un prototype est de vérifier que le projet est sur la bonne voie (et de la bonne façon). Une remise en cause n’est donc en aucun cas une défaite;
Cas n°1 :
Votre client a tord, et le fait de mettre en place—de manière grossière—son idée vous permettra de lui démontrer son erreur. Vous pourrez ainsi achever le projet sans vous préoccuper de cette problématique apparue au cours du développement;
Cas n°2 :
Votre client aura raison et ce projet sera remis dans le droit chemin. Les objectifs seront alors atteints et vous serez satisfait d’avoir travaillé sur un projet réussi (oui, il faut aussi savoir se remettre en cause).
Dans tous les cas, vous serez, d’une façon ou d’une autre, gagnant. Certains parlent de l’itération de manière beaucoup plus précise. Et cet autre article met également avant l’intérer de l’expérience utilisateur sur l’excédant de fonctionnalités.
Prévoir et maintenir le produit.
La mise en production d’un service est également une étape délicate. C’est la période à laquelle est déterminé le succès ou non de la prestation réalisée. Et dans ce cas là encore, il est intérêssant de prévoir les différents retours client. Car oui, un projet qui ne donnerait pas suffisament de résultats positifs est ouvert aux retours du client, paniqué de voir son projet échouer.
Les technologies du web (et d’internet en général) évoluent, et nous permettent de faire évoluer nos produits. Et j’assiste régulièrement à la refonte complète de projets sous prétexte qu’ils ne soient plus au goût du jour (graphiquement ou technologiquement parlant). Mais connaissons-nous seulement la portée et la raison de telles modifications sur nos projets ?
Vous connaissez ce dicton médical « mieux vaut prévenir que guérir ». Encore une fois, la gestion de projets n’en est pas exemptée. Se retrouver face à un gouffre parce que nous manquons de réponse est une problématique quotidienne pour les chargés de relation client.
Plutôt que ce voir vos projets comme des produits finis, il serait plus avantageux de les voir comme des expérimentations continues. Et ces expériences vous permettent de répondre aux problématiques dans de futures mises à jour.
Le mot de la fin
Là où d’autres méthodologies proposent un changement radicale, j’ai préféré une approche par l’adaptation à une situation existante (recherche, aggrégation, expérimentation, itération et suivi). De la même manière que les habitudes et comportements des utilisateurs évoluent, celle des clients ne déroge pas à la règle. Il est donc intérêssant de proposer une méthodologie qui prend en compte, à la fois la mentalité de votre client, et vos besoins en tant qu’agence.
Aussi, cette méthodologie se veut apporter des réponses aux prestataires, mais aussi faire évoluer les mentalités des uns et des autres. L’objectif recherché au travers ce changement de processus est de rendre plus fluide la gestion d’un projet. L’expertise de vos équipes projet peut ainsi être valorisée. Peut-être envisageriez-vous alors de passer aux méthodes agiles … ?
En revanche, lors de la mise en application de cette méthodologie, je me suis heurté à une problématique quelque peu préoccupante. Arriver en entreprise et proposer une méthodologie différente peut être assez mal vu auprès de certains managers. Et ceci est fortement lié à notre culture « top-down » où le stagiaire ne doit jamais faire plus que ce qui lui ai demandé, par peur du remplacement. Il faut donc réussir à apporter ce type de changement de deux façons :
- Démontrer l’intérêt et les bénéfices de ce changement dans la gestion de projet (l’impact en terme de budget, relation client et satisfaction des intervenants)
- Apporter une plus value rassurante pour les instances supérieures en précisant que cette méthodologie n’a pour objectif que de vous permettre de faire votre travail dans des conditions adéquates.
Je m’applique encore aujourd’hui à procéder à ce changement de méthodologie. Cela prend du temps, mais « affaire à suivre »…